Par Anne-Françoise HIVERT

Kárahnjúkar
En fin d'après-midi, les visiteurs remontent dans leurs cars. Direction : Kárahnjúkar, à une cinquantaine de kilomètres. Les hommes, presque tous étrangers, travaillent sur le chantier, au nord du glacier de Vatnajökull. L'ouvrage, gigantesque, comprend cinq barrages, dont le plus grand mesure 193 m de haut et 730 de large. D'ici à 2007, les eaux submergeront 57 km2 de terre. Et d'ici à 2009 la centrale électrique disposera d'une capacité de production de 690 MW, soit la moitié de ce que produit actuellement l'Islande. Le tout sera destiné à la fonderie d'aluminium, construite par le géant américain Alcoa, dans le fjord de Reydarfjördur.
C'est l'un des projets les plus controversés de l'histoire du pays. Mais aussi le plus gros investissement que n'ait jamais connu l'île. L'équivalent de 20 % du PIB islandais. «Le projet doit redonner vie à l'Est», explique le ministre de l'Industrie, Jón Sigurdsson. La survie de la région a longtemps dépendu de la pêche, mais l'instauration de quotas et l'épuisement des stocks ont frappé de plein fouet l'économie locale. Les pêcheurs ont vendu leur bateau, les conserveries mis la clé sous la porte. Et les habitants ont quitté la région. En dix ans, la population a diminué de 10 %. En 2000, elle ne comptait plus que 12 000 habitants.

Manifestation anti ALCOA
Un chantier à marche forcée
Dans l'est, les élus sont séduits
Pourquoi n'auraient-ils pas droit à leur fonderie ? Originaire de la région, le ministre des Affaires étrangères en fait une affaire personnelle. Avec le premier ministre de l'époque Davíd Oddsson, Halldór Ásgrímsson sera l'un des principaux avocats de la construction du barrage de Kárahnjúkar et de la fonderie de Reydarfjördur. Peu importe l'opposition des écologistes. Les objections de géologues. La démesure du projet. Les chantiers doivent démarrer, à marche forcée. Sigurdur Arnalds résume : «Le monde a besoin d'aluminium, ne serait-ce que pour construire les avions qui transportent les touristes en Islande. N'est-ce pas mieux pour la planète de le produire avec des énergies renouvelables ici, plutôt qu'avec du charbon ailleurs ?» Les arguments, présentés à Kyoto, font mouche. L'Islande est autorisée à augmenter de 10 % ses émissions de gaz à effet de serre, par rapport à 1991.

Saving ICELAND
La mère de Björk en grève de la faim
Le poète Andri Magnason évoque, lui, «une nation en état de guerre psychologique». Son dernier livre, intitulé Dreamland a self-help book for a frightened nation («Le pays de rêves. Guide de survie pour une nation effrayée»), s'est vendu à 14 000 exemplaires, un record. Il y dénonce «la propagande qui fait de la beauté de l'Islande l'ennemi du progrès». Le biologiste Gudmundur Pall Olafsson photographie la zone bientôt inondée. Il dit avoir été accusé par les membres du gouvernement de trafiquer ses clichés pour embellir la nature. Le journaliste Omar Ragnarsson, auteur d'un documentaire sur la région, raconte lui aussi : «On a essayé de m'intimider, en menaçant ma femme et mes amis. Soit j'arrêtais de parler de la destruction de la nature, soit j'allais payer très cher.» En 2003, 700 personnes de l'est du pays demandent sa démission mais son employeur de l'époque, une chaîne de télévision, prend sa défense.

L'instabilité géologique
Plusieurs experts évoquent des pressions
Le géologue Grimur Björnsson, employé par l'Agence nationale de l'énergie, rédige en 2002 un mémo, qui met en garde contre l'instabilité géologique de la région de Kárahnjúkar. Le document est enterré par sa direction. Les députés n'en entendront jamais parler, jusqu'à cet été. Pourtant, la compagnie d'électricité affirme aujourd'hui avoir pris l'étude au sérieux. L'opposition accuse la ministre de l'Industrie de l'époque d'avoir tenté de dissimuler des informations, pour accélérer les travaux. Elle nie.
Et de fait les autorités islandaises déroulent le tapis rouge devant le géant américain. Le niveau des prix négocié entre Landsvirkjun et Alcoa est gardé secret. «Mais ils doivent être très bas pour qu'Alcoa décide de fermer deux fonderies aux Etats-Unis et de transférer sa production en Islande», remarque Arni Finnsson, le président de l'Association islandaise de conservation de la nature (Inca). Comme nombre de ses collègues, le professeur d'économie Thórólfur Matthíasson «b[doute de la profitabilité du projet]b». D'autant que la main-d'oeuvre islandaise censée accourir pour repeupler cet Est déserté se fait rare. Le groupe italien de BTP Impregilo, qui a décroché le contrat de construction du barrage de Kárahnjúkar, devait embaucher 1 500 ouvriers. Seulement un quart sont Islandais. Beaucoup n'ont pas tenu.
«b[Les logements étaient épouvantables, les salaires bien en dessous de ce que prévoient les accords collectifs et l'ambiance était horrible]b», affirme le patron du Syndicat des électriciens (RS'), Gudmundur Gunnarsson le père de Björk. Impregilo finit par aller recruter en Chine, où la compagnie a construit l'immense barrage des Trois-Gorges.
Désillusions et vies brisées
«Le fils du premier devait reprendre la ferme. Il est mort dans un accident sur le barrage. Le second est parti. Il craignait que les lignes électriques nuisent à la santé de ses enfants. Le troisième et le quatrième ont reçu des compensations financières pour les poteaux sur leur terrain. Ils ont vendu leur bétail et l'un d'entre eux sa maison. Enfin, le cinquième a décidé d'aller travailler en ville, où la main-d'oeuvre manquait.»
Le projet devait repeupler la région. Selon l'Institut des statistiques, les habitants continuent de partir. «On est en train de tuer la communauté locale», s'insurge Gudmundur Beck. Cet été, ce fermier de Reydarfjördur a bloqué pendant plusieurs heures les travaux de construction de la fonderie, avec un groupe de jeunes activistes venus de toute l'Europe pour protester contre le projet. Alcoa lui réclame 130 000 € de dommages et intérêts. Il parle de partir. «A moins, glisse-t-il, que l'esprit de la sorcière se réveille.» La sorcière ? Selon la légende, c'est elle qui aurait coulé le bateau de pirates venus attaquer le fjord en 1627, et elle encore qui aurait poussé un avion militaire allemand à s'écraser dans les collines en 1941. Récemment, l'église du village d'Eskifjördur est partie en fumée. Le prêtre était un partisan de la fonderie...
Jeudi 28 Septembre 2006
Saving Iceland first days of actions
NB: Le barrage a été terminé récemment, et l'association a disparu...
source LIBE http://www.acme-eau.org
Voir ausi archives : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=3452
ARTICLES PRECEDENTS:
Saving Iceland : SOS Solidarité lutter contre le projet Karanhjukar - 14/07/2006
http://www.savingiceland.org/node/652