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"Selon les informations du Figaro, la dette atteindra le niveau record de 95,1 % du PIB, très éloigné de la prévision envoyée il y a six mois à Bruxelles.
(...)
La dette atteindra 1950 milliards d'euros. Un tel niveau reflète une hausse, en valeur, de plus de 120 milliards en deux ans.
Ce niveau d'endettement représentera, en théorie, une facture de plus de 30 000 euros par Français." Source
Cette dette publique que l’on nous cache
Contrepoints
Quel est l’état de la dette publique ? Sommes-nous en mesure de la rembourser ? Quel scénario pour l’avenir du pays sous cette épée de Damoclès ?
Par Philippe Lacoude
Les chiffres officiels ne sont pas encore connus mais la dette publique à ce jour a déjà certainement dépassé 2 000 milliards d’euros. Il n’aura fallu qu’onze ans pour accumuler 1000 milliards de dettes.
Une dette publique qui cache la réalité
Cette somme phénoménale cache une autre montagne : les déficits futurs actualisés des régimes publics d’assurance maladie et d’assurance vieillesse. Le Trésor ne publie pas ces chiffres. Contrairement à une entreprise, l’État ne provisionne pas ses futurs paiements aux malades ou aux retraités. L’État est une sorte d’assureur véreux qui demande une prime d’assurance plus basse que la valeur actualisée des dommages futurs, dépense la prime, escamote l’opération de sa comptabilité officielle et arrive encore à afficher une perte (i.e. le fameux « déficit de la sécu ») année après année. Si un assureur privé faisait de même, il serait incarcéré pour une longue durée.
Chaque année, le Trésor américain publie une étude prospective, le Financial Report of the United States Government, dans laquelle il essaie de calculer la situation réelle des finances publiques. Cette étude est requise par la loi depuis 1977. Comme les chiffres sont pitoyables, ils sont généralement publiés entre Noël et le jour de l’an, quand les journalistes sont trop occupés par les fêtes pour lire 250 pages de comptes nationaux.
Pourtant, ils apprendraient que le gouvernement fédéral des États-Unis avait environ 12 000 milliards de dollars de dette publique, devrait 6 500 milliards à son personnel et à ses anciens combattants, que les retraites étaient dans le rouge de 12 200 milliards, et les assurances maladies publiques d’environ 27 300 milliards. Soit une somme totale de 40 000 milliards à la fin 2013.
Ceci représente environ deux fois et demi le PIB courant. Plus parlant, ces sommes faramineuses représentent 4% de toutes les productions futures actualisées du pays. Le gouvernement fédéral des États-Unis pourrait donc se tirer de cette calamité en coupant drastiquement dans ses dépenses à hauteur de 4% du PIB, à perpétuité, et en consacrant les sommes ainsi économisées au paiement de ses obligations futures.
Quid de la France ?
Personne ne sait vraiment. Bercy ne publie pas de rapport financier de 250 pages chaque année depuis 1977. La transparence, ce n’est pas depuis 1977. Ce n’est pas maintenant. C’est pour plus tard. Demain, peut-être… Aujourd’hui, pour les deux ministres en charge des finances du pays, c’est piscine !
Les seules études sérieuses sur le sujet ont été réalisées par Jagadeesh Gokhale. Cet auteur a passé des années à travailler sur cette question, d’abord comme enseignant-chercheur, puis comme consultant à l’U.S. Department of the Treasury, comme conseiller à la Federal Reserve Bank of Cleveland, à l’American Enterprise Institute et au Cato Institute.
Dans un rapport du National Center for Policy Analysis (NCPA) de 2009 et une mise à jour de l’Institute of Economic Affairs (IEA) de 2014, Jagadeesh Gokhale se penche sur les économies européennes. Il applique les méthodologies du Trésor américain aux données d’EuroStat de 2004.
Bien avant que la France n’accumule 2 000 milliards de dette publique, avant donc les 610 milliards de « dette Sarkozy », il trouve que la France avait déjà 9111 milliards d’euros (de 2004) de dettes réelles. Cette somme représentait déjà cinq fois et demi la production nationale annuelle, à 549% du PIB.
À la mi-2014, la dette publique était probablement de 2040 milliards d’euros auxquels s’ajouteraient 9572 milliards de dettes officieuses.
En pourcentage du PIB ?
L’État peut-il rembourser ? L’État peut-il rembourser 5,5 fois le PIB ? Tout d’abord, l’État ne possède pas tout le PIB. Il essaie. Avec entre 57% et 58% de succès, ces derniers temps. Cependant, il n’a pas encore mis la main sur 100% de la richesse nationale. Il échoue à la confiscation de ces 43% rebelles. Des Gaulois résistent encore et toujours aux envoyés des fricophages de Bercy. La bonne question est donc de savoir si l’État peut rembourser plus de dix fois le montant de ses recettes fiscales.
Pour ce faire, il faudrait complètement arrêter les déficits et, selon les calculs de Jagadeesh Gokhale pour 2004, il faudrait consacrer 9,66% du PIB, perpétuellement, au remboursement des dettes officielles et des dettes officieuses (Sécurité Sociale maladie et vieillesse non-provisionnées).
Là encore, la France fait figure de mauvais élève de l’Europe mais on remarque qu’elle est rejointe par l’Allemagne et l’Italie. Pourquoi ? Simplement parce que ces deux pays ont une démographie épouvantable. L’Italie, pays de 60 millions d’habitants, n’en aura plus que 42 millions en 2050 malgré l’immigration. Une bonne partie sera trop âgée pour travailler et ne participera pas au remboursement de ses dettes réelles. La France, partant avec des dettes réelles plus fortes mais une démographie meilleure, semble tirer son épingle du jeu relativement à l’Italie et à l’Allemagne.
Ce pourcentage de 9,66% n’était valable que pour 2004. Il s’aggrave d’année en année, d’environ un demi pourcent du PIB ou, pour être plus précis, d’environ 1% des recettes fiscales de l’État. Le changement, c’est demain et il sera douloureux : comme on peut le voir ci-dessous, avec la même méthodologie, la prévision de l’étude de 2009 (qui utilisait les données prévisionnelles d’EuroStat pour l’année 2010) a dû être revue à la hausse dans l’étude de février 2014. À ce rythme, le chiffre 2014, par simple extrapolation linéaire est probablement compris entre 14 et 15% ! Ceci représente entre un tiers et un quart des recettes de l’État.
Pour que l’État honore ses engagements financiers vis-à-vis des détenteurs d’obligations, des futurs retraités et des futurs malades, il y a donc quatre conditions à remplir :
- Il faut que le budget soit en équilibre ;
- Il faut que les taux d’intérêts restent à leur bas niveau actuel pour les 50 prochaines années ;
- Il faut que l’État consacre entre un quart et un tiers de son budget à rembourser la dette officielle et à provisionner les retraites et les dépenses maladies futures ;
- Il faut que la démographie ne change pas drastiquement de la trajectoire que les experts ont prévue.
La dette publique officieuse ne sera jamais remboursée
Ces quatre conditions n’ayant aucune chance d’être remplies, on peut dire avec certitude que la dette publique officieuse ne sera jamais remboursée. En pratique, ceci veut dire que les retraites ne seront pas revalorisées, ou que l’âge de la retraite passera à 75 ans ou plus, ou que les retraites seront bien payées mais avec de la monnaie dévaluée.
Gageons que les hommes de l’État utiliseront un peu de ces trois méthodes. En parallèle, la branche maladie de la Sécurité Sociale continuera de mourir lentement en remboursant de moins en moins et en restreignant l’accès aux soins par des listes d’attente, par des interdictions de nouveaux types de traitements, et par l’adoption au ralenti des nouveaux médicaments.
Nous savons exactement comment tout ceci va se passer car nous avons l’expérience des anciens pays du bloc soviétique. Un jour relativement proche, les « petits vieux » devront quitter leur retraite, retourner à des petits boulots (quand ils le pourront), retourner vivre chez leurs enfants (quand ils en auront), et n’accéderont pas aux soins. Les statisticiens verront deux choses se produire :
- La participation au marché du travail des plus de 70 ans augmentera en flèche ;
- L’espérance de vie baissera.
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La dette publique officielle ne sera probablement pas remboursée
Lorsque la dette publique atteint 100% du PIB, une simple règle apparaît : pour stabiliser celle-ci en l’absence de déficit primaire, il faut que la croissance économique soit égale au taux d’intérêt de la dette. Si la croissance est de 3%, le PIB de l’année suivante est de 103% de celui de l’année précédente. Si le taux d’intérêt de la dette est de 3%, la dette de l’année suivante est de 103%. Le ratio dette/PIB ne change pas si le taux de croissance égale le taux d’intérêt de la dette. Quand on a environ 100% de dettes en pourcentage du PIB, rien n’est plus important pour un ministre des Finances que le taux de croissance hormis le taux d’intérêt des OAT…
Bien sûr, ceci n’est vrai que si les administrations publiques dépensent exactement ce qu’elles reçoivent en impôts et en taxes. Si l’État dépense 51% de la richesse nationale et si la pression fiscale représente 50% du PIB, alors, pour maintenir le ratio dette/PIB, le taux de croissance du PIB doit être égal à celui du taux d’intérêt de la dette plus un pourcent.
En conséquence, la question de savoir si la dette publique officielle sera remboursée revient donc à répondre aux questions suivantes :
- Les administrations publiques vont-elles dépenser exactement ce qu’elles reçoivent en impôts et en taxes ? En termes économiques, le déficit primaire de l’État va-t-il être nul ?
- La croissance va-t-elle dépasser le taux d’intérêt de la dette dans le futur ?
Les besoins de l’État pour remplir les promesses faites en matière d’assurance maladie et d’assurance vieillesse appellent une réponse résolument négative à la première question. Comme nous l’avons vu plus haut, en 2004, les déficits futurs actualisés de ces deux postes de dépenses représentaient déjà plus de 4 fois et demi la production nationale annuelle.
La deuxième question est également sans appel : le taux de croissance de l’économie sera plus faible que le taux d’intérêt de la dette publique. Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, les économies plombées par une dette de plus de 90% ne croissent pas ou très peu. Nous pouvons ainsi attendre une croissance réelle à peu près nulle et donc une croissance nominale de 1 ou 2% par an.
Les taux d’intérêt sont extrêmement bas mais vont nécessairement remonter dans les 50 prochaines années (à moins que les hommes de l’État choisissent délibérément une politiquement très inflationniste). Ils reviendront sûrement à leur historique de 6 ou 7% : le taux moyen des obligations d’État françaises à 10 ans s’établit en moyenne à 7,77% sur les quarante dernières années.
À ce taux, il faudrait générer un excédent primaire d’au moins 10% du budget de l’État. En d’autres termes, il faudrait que l’État ne dépense que 9 euros pour 10 euros de recettes fiscales. Un tel excédent est tellement politiquement loufoque que ce calcul ne devrait même pas être envisagé.
La boule de cristal
La dette publique officielle ne sera donc probablement pas remboursée. Plusieurs scénarios sont possibles mais quatre ont une forte probabilité :
- Le défaut de paiement ou la banqueroute.
Si la France reste dans l’euro, et si elle n’obtient pas la possibilité d’en émettre, un moment arrivera où les obligations d’État ne pourront plus être honorées à moins de drastiquement couper dans les retraites et les prestations de santé. La situation économique se détériorerait rapidement car les investisseurs internationaux échaudés arrêteraient de prêter du jour au lendemain. Les banques françaises déjà sous-capitalisées perdraient une grande partie de leurs fonds propres entraînant l’économie dans leurs propres faillites.
- La sortie de l’euro.
Si la France sortait de l’euro, elle pourrait émettre des francs, dont la valeur aurait une fraction de celle des euros. Elle rembourserait en franc les dettes contractées en euro. Ce vol pur et simple se heurterait très probablement au droit puisque la dette de l’État est libellée en euros. L’État aurait beaucoup de mal à se financer sur les marchés. Les banques françaises et les grandes entreprises souffriraient énormément car toutes leurs opérations passées en euros devraient être honorées dans cette devise.
- La dilution de la dette par l’inflation.
Il suffirait que la situation en Allemagne et en Italie continue sur leurs trajectoires actuelles pour que ces deux pays décident que la banque centrale européenne devienne une imprimerie de faux billets…
- L’autre sortie de l’euro.
Si l’Allemagne et les pays du nord sortaient de l’euro, la France, l’Italie et l’Espagne pourraient émettre des euros sans limite ; une inflation catastrophique s’en suivrait qui annulerait la dette à condition de ne revaloriser ni les retraites, ni les minima sociaux, ni les salaires des fonctionnaires, ni les prestations maladie. Cette sortie de l’euro a un avantage : les contrats en euros seraient respectés, sinon en valeur réelle du moins en valeur nominale.
De tous ces scénarios, les deux premiers sont les pires mais il est difficile de les exclure à cause de l’analphabétisme économique qui sévit en France. Plus une idée est dangereuse, plus elle semble trouver d’exégètes.
Lire aussi sur Contrepoints du même auteur : 2000 milliards de dette publique !
- Aucune chance que ceci n’arrive !
- Les 610 milliards de « dette Sarkozy » représentent « 10000 euros par Français ». Ceux qui ne les ont pas reçu sous forme de prestations étatiques devraient se plaindre. Les autres auraient dû faire preuve de reconnaissance et envoyer un peu d’argent pour le Sarkothon.
- La méthodologie de cette étude est également exposée dans une étude de la Banque d’Italie ainsi que dans un rapport des services de recherche de la Federal Reserve Bank of Cleveland.
- Si le ratio de 549% du PIB calculé par Jagadeesh Gokhale ne s’est pas aggravé…
- Il existe un problème spécifique à la France : s’il est vrai que sa démographie semble meilleure que celle de l’Allemagne ou de l’Italie, il n’en reste pas moins que la France est en chute libre dans les classements d’éducation (comme PISA). De plus, elle exporte probablement aux alentours de 60000 jeunes diplômés par an. Au contraire, le capital humain moyen des nouveaux arrivants n’est pas toujours flambant. Même si la population active restait constante, sa productivité marginale du travail pourrait bien stagner. En pratique, une population moins bien formée en moyenne devrait produire suffisamment de richesses pour supporter les dettes étatiques.
- Le déficit primaire de l’État correspond au solde du budget des administrations publiques non compris les intérêts versés sur la dette et les revenus d’actifs financiers reçus. Si ce solde est positif, on parle d’excédent primaire.
Source des illustrations: http://economiepolitique.org, Croah
http://www.internationalnews.fr/article-cette-dette-publique-que-l-on-nous-cache-124490370.html