Qu’est ce que la « liberté de la presse » ? Selon les Révolutionnaires français de 1789, c’était un préalable à la démocratie. Dans ce cas, tout ce qui pouvait participer au débat public devait être autorisé —ce qui n’était pas le cas des injures et des diffamations—. Pour l’Otan, la réponse est autre : la « liberté de la presse » ne s’applique qu’à ceux qui soutiennent l’Alliance et elle donne le droit d’injurier et de diffamer les religions.
Réseau Voltaire International 20 janvier 2015
- Jens Stoltenberg, aujourd'hui secrétaire général de l’Otan était Premier ministre de Norvège en 2011, quand 77 personnes sont mortes dans un double attentat commis par Anders Behring Breivik à Oslo et sur l’île d’Utoya.
Jens Stoltenberg a signé le livre de condoléances pour les victimes de l’attentat terroriste contre la rédaction de Charlie Hebdo et, en le définissant comme « une attaque outrageante contre la liberté de la presse », il a déclaré que « le terrorisme sous toutes ses formes ne peut jamais être toléré, ni justifié ».
Paroles justes si elles n’avaient pas été prononcées par Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan, l’organisation militaire qui utilise comme méthodique instrument de guerre l’attaque terroriste contre les rédactions radiotélévisées [1].
Celle contre la radiotélévision serbe à Belgrade, frappée par un missile Otan le 23 avril 1999, provoqua la mort de 16 journalistes et techniciens. Même chose, par l’Otan, dans la guerre de Libye, en bombardant en 2011 la radiotélévision de Tripoli. Pareil dans la guerre contre la Syrie, quand pendant l’été 2012 des combattants entraînées et armés par la CIA (dans ces mêmes camps d’où semble-t-il provenaient les auteurs de l’attentat de Paris) ont attaqué les stations de télé d’Alep et de Damas, en tuant une dizaine de journalistes et techniciens.
Sur ces attaques terroristes est tombé en Occident un silence médiatique quasi total, et pratiquement personne n’est descendu dans la rue avec les photos et les noms des victimes.
À l’attentat contre Charlie Hebdo a été donnée par contre une résonance médiatique mondiale. Et, s’appuyant sur le sentiment naturel de condamnation de l’attentat et de partage du deuil pour les victimes, Charlie Hebdo a été érigé en symbole de lutte pour la liberté par un vaste rassemblement politique. En ignorant le rôle discutable de cette revue qui, par ses vignettes « désacralisantes », se placerait « à la gauche de la gauche ».
En 1999 le directeur de Charlie Hebdo, Philippe Val, soutient par une série d’éditoriaux et de dessins la guerre Otan contre la Yougoslavie, en comparant Milosevic à Hitler et en accusant les Serbes de perpétrer au Kosovo des « pogroms » semblables à ceux des nazis contre les juifs.
Même ligne en 2011 quand Charlie Hebdo (bien que Val ne fut plus à la direction) contribue à justifier la guerre Otan contre la Libye, en dessinant Kadhafi comme un dictateur féroce qui écrase son peuple sous ses bottes et prend un bain dans une vasque pleine de sang.
Même ligne en 2012 à l’égard de la Syrie quand Charlie Hebdo, représentant le président Assad comme un cynique dictateur qui écrase des femmes et des enfants sous les chenilles de ses chars d’assaut, contribue à justifier l’opération militaire des USA et de l’Otan.
Dans ce cadre s’insère la série de dessins avec lesquels la revue ridiculise Mahomet. Même si la revue exerce aussi une satire sur d’autres religions [2], les caricatures sur Mahomet équivalent à autant de bidons d’essence jetés sur le terrain déjà enflammé du monde arabe et musulman.
Et elles apparaissent plus odieuses encore aux yeux de grandes masses musulmanes car ceux qui ridiculisent leur religion et leur culture sont des intellectuels parisiens, oublieux du fait que la France a assujetti sous sa domination coloniale des peuples entiers, non seulement en les exploitant et en les massacrant (rien qu’en Algérie plus d’un million de morts), mais en leur imposant leur propre langue et leur propre culture.
Politique que Paris poursuit aujourd’hui sous des formes néo-coloniales. On ne s’étonnera donc pas si, dans le monde arabe et musulman qui a en majorité condamné les attaques terroristes à Paris, se propagent les protestations contre Charlie Hebdo. À ceux qui en Occident en font l’étendard de la « liberté de la presse », on demandera : que feriez-vous si vous trouviez dans les rues des dessins pornos sur votre père ou votre mère ? Vous ne vous énerveriez pas, vous ne les qualifieriez pas de provocation ? Vous ne penseriez pas qu’il y a là derrière la main de quelqu’un qui essaie de lancer une guerre contre vous ?
Traduction: Marie-Ange Patrizio
Source: Il Manifesto (Italie)
Les emphases sont d'IN
Photo: nyhetsspeilet
[1] Par ailleurs, sur l’usage incessant du terrorisme par l’Otan contre ses alliés, on lira : Les Armées Secrètes de l’OTAN du professeur Daniele Ganser (éditions Demi-lune). Livre disponible en version Html sur le site du Réseau Voltaire.
[2] Sans faire les mêmes profits phénoménaux quand elle attaque les autres religions : « En 2006, les Éditions Rotative, éditrices de Charlie Hebdo, ont enregistré un résultat bénéficiaire de 968 501 euros.
Près de 85 % de cette somme (soit 825 000 euros) ont été redistribués en dividendes aux quatre associés du groupe : Philippe Val, directeur de la publication et propriétaire de 600 des 1 500 parts de l’entreprise et Cabu, dessinateur et directeur artistique, aussi détenteur de 600 parts, ont perçu 330 000 euros chacun. Les deux autres actionnaires, l’économiste Bernard Maris, directeur adjoint de la rédaction, et le responsable financier Éric Portheault (respectivement 200 et 100 parts) ont touché 110 000 et 55 000 euros. Outre [en 2006] la bonne tenue des ventes et des abonnements (85 000 exemplaires vendus chaque semaine, en moyenne, selon la direction), ce gain s’explique, notamment, par la diffusion extraordinaire du numéro spécial consacré aux caricatures de Mahomet, le 8 février 2006 (500 000 exemplaires...). »
Le versement de dividendes à Philippe Val et à Cabu ne gratifie pas leur investissement pécunier dans le journal. En effet, ils étaient désargentés à l’époque de sa création qui fut entièrement financée par les Fonds secrets de l’Elysée, alloués par le président François Mitterrand.
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